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Faut-il arrêter de manger de la viande rouge ? Épisode n°1 : réactions inappropriées

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Quand un produit de consommation courante est reconnu porteur d’un danger pour la santé, cela provoque souvent des réactions inappropriées. D’un côté, une inquiétude excessive qui peut conduire à arrêter totalement sa consommation. D’un autre côté, un déni qui est porté par les intérêts économiques menacés.
La prise de position du Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), l’agence de l’OMS chargée d’évaluer les preuves du caractère cancérigène des expositions environnementales ou alimentaires et qui vient de classer les viandes rouges comme « probablement cancérigènes pour l’homme » (groupe 2A de l’échelle des preuves) et les viandes transformées après salaison, maturation ou fermentation comme « cancérigènes certains pour l’homme » (groupe 1) illustre cette situation (voir Le Monde daté du 27 octobre dernier).
Ainsi, quand un responsable de l’Association nationale inter-professionnelle du bétail et des viandes cité par l’Usine nouvelle déclare : « on persécute les industriels de la viande » ou encore « on ne consomme pas que du saucisson seul ; on mange avec du pain, des légumes, du fromage, des boissons… Il est donc difficile d’identifier un seul aliment parmi ceux-ci comme étant cancérogène », cela montre une incompréhension de la portée de l’avis du CIRC. Les industriels ne sont pas persécutés par l’OMS. Si la viande est cancérigène, ce n’est pas de leur faute. Ce n’est pas comme s’ils ajoutaient volontairement des additifs cancérigènes à leurs produits pour augmenter leur profit. Mais clairement, cette association professionnelle n’a pas la compétence d’interpréter correctement le classement sur une échelle de preuve. Et poussons plus loin : pour ne pas persécuter les industriels, faudrait-il cacher des vérités scientifiques ? En prenant de telles positions, les professionnels ne réalisent pas la méfiance qu’ils suscitent. Ils affaiblissent la cause qu’ils veulent défendre. Et quand de surcroît, ils mettent en avant des arguments tels que « neuf études sur dix prises en compte par le CIRC proviennent des États-Unis », cela ferait sourire (l’intestin des Français relève-t-il d’une exception ?) si cela ne rappelait pas des erreurs de communication comme celle faite au moment du nuage de Tchernobyl et dont nous payons encore le prix plus d’un quart de siècle après.
Les prises de position des filières concernées en Amérique ne sont guère plus subtiles : « nous ne croyons tout simplement pas que les données sont en faveur d’une relation causale entre la consommation de n’importe quelle viande rouge et n’importe quel cancer » a déclaré un responsable de la National Cattlemen’s Beef Association cité par le Washington Post. C’est la stratégie de la controverse. Mais qui va croire qu’une association d’éleveurs de bétail a plus de crédibilité qu’une expertise collective de scientifiques ?
Pour y voir clair, remarquons tout d’abord qu’il ne s’agit pas d’une décision de l’OMS comme on a pu le lire, mais d’une prise de position qui résulte d’un long processus d’expertise multidisciplinaire des données scientifiques disponibles. Ce n’est pas une opinion, c’est une expertise scientifique. Ce n’est pas non plus une étude, c’est une synthèse de quelque 800 études publiées.
Soulignons ensuite que l’échelle du CIRC n’est pas une échelle de risque, mais une échelle classant le niveau de preuve disponible sur l’existence d’un danger. « Probablement cancérigène » signifie ainsi qu’il existe des arguments forts plaidant en faveur d’un rôle de la consommation de viandes rouges dans la survenue de cancers chez l’homme, mais qu’on ne peut pas conclure de façon certaine au lien de causalité. En clair, le CIRC évalue les dangers, mais pas les risques, encore que dans le cas présent, cette agence fournit des indications sur la relation entre le niveau de consommation et les risques de cancer.
Rappelons enfin que ce dossier fournit une bonne opportunité de clarifier quelques éléments fondamentaux pour comprendre les enjeux de sécurité sanitaire et notamment : la distinction entre les notions de dangers et de risques (ce que j’ai déjà souligné ici, voir notamment mon post du 5 septembre 2013) et le caractère plurifactoriel des maladies chroniques.
Le danger est la capacité d’une substance à provoquer un effet néfaste. C’est une potentialité. Cela ne dit rien du degré de réalisation de cette potentialité. Le tabac est dangereux : 100 % des fumeurs vont-ils mourir des conséquences du tabac. Non. La viande rouge est vraisemblablement dangereuse : tous ceux qui en mangent (dont moi) développeront-ils un cancer (on parle ici de cancers digestifs et de la prostate) ? Non, bien évidemment. La fréquence avec laquelle le danger se réalise, c’est le risque. Ainsi, les fumeurs multiplient leur risque de cancer par 5 à 20 (cela varie avec la quantité fumée et les organes). Pour la viande transformée, l’estimation est une multiplication du risque de cancer par environ 1,2 pour chaque portion de 50 grammes. Si on consomme 100 grammes, cela multiplie donc par 1,4, etc. Il faut consommer 250 grammes par jour pour doubler le risque de cancer, ce qui reste un excès de risque que l’on peut qualifier de modéré.
Le communiqué de presse publié par l’Anses sur ce dossier rappelle opportunément ces repères.
Donc, première règle : ne pas s’affoler quand une substance est reconnue dangereuse et s’intéresser au niveau du risque.
Deuxième règle : quand une affirmation de danger est faite, se poser la question de savoir si cela provient d’une étude ou d’une synthèse d’études. Conclure à partir d’une seule étude est une erreur. Ainsi, il y a eu des études qui ont montré une relation entre l’utilisation des téléphones portables et les tumeurs du cerveau. Mais pour l’instant, lorsque l’on prend en compte l’ensemble des données disponibles, cette conclusion n’est pas fondée.
Un autre élément fondamental est que le cancer est une maladie plurifactorielle. Un cancer se développe sous l’action conjuguée de facteurs génétiques, biologiques, comportementaux et environnementaux. Il est difficile avec les connaissances actuelles de faire la part de la contribution de ces différents facteurs. Mais on ne peut plus raisonner selon un modèle pasteurien qui associe une maladie à un facteur et un facteur à une maladie.
Ces considérants étant rappelés, la question principale pour le public est celle des conséquences pratiques à tirer de cette situation. Je donnerai mon point de vue dans mon prochain post.












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