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Pollution atmosphérique, radiofréquences, Tchernobyl: comment évaluer les risques ?

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Pour tous ceux qui s’intéressent aux risques sanitaires, la semaine que nous venons de vivre a été riche. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a publié une expertise collective sur les radiofréquences et la santé. Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publié une expertise collective qui conclut que la pollution atmosphérique extérieure est avec certitude un facteur cancérigène.

Soulignons que dans les deux cas, il s’agit d’expositions à de faibles niveaux, mais qui sont largement répandues. Cette situation soulève deux problèmes. Le premier est de savoir comment on arrive à une conclusion permettant d’affirmer que la pollution est un danger « possible », « probable » ou « certain », autrement dit, comment qualifie-t-on le niveau de preuve disponible ? La lecture des deux rapports montre que les deux agences utilisent une méthode analogue fondée sur l’analyse systématique des publications scientifiques et la confrontation entre les données expérimentales et les données d’observation. J’y reviendrai dans un prochain post.

Le second problème est de savoir, le danger étant qualifié, quel est l’impact sanitaire, c’est-à-dire quel est le risque ? Sur la distinction danger / risque, je renvoie à mon post du 5 septembre dernier. Il y a ici deux niveaux à prendre en compte. Quel est le risque au niveau individuel pour chacun d’entre nous ? Quel est le risque collectif au niveau de l’ensemble de la population. Le passage entre les deux niveaux est fonction du nombre de personnes exposées (voir mon post du 24 mars 2013 sur cette question).

Sur ce point, je voudrais souligner le remarquable article publié par Jean-Pierre Dupuy dans Le Monde du 15 octobre au sujet des divergences dans l’estimation de l’impact sanitaire de l’accident de Tchernobyl. À propos de l’évaluation des risques, l’auteur écrit finement sur un fait complexe : « Lorsque les doses radioactives sont très étalées dans le temps et distribuées sur une vaste population, il est impossible de dire d’une quelconque personne désignée qui meurt d’un cancer ou d’une leucémie qu’elle est morte du fait de Tchernobyl. Tout ce que l’on peut dire, c’est que la probabilité qu’elle avait a priori de mourir d’un cancer ou d’une leucémie a été très légèrement accrue du fait de Tchernobyl. Les quelques dizaines de milliers de morts qu’aura causées (selon mes propres estimations, voir Retour de Tchernobyl. Journal d’un homme en colère, Seuil, 2006) la catastrophe nucléaire ne peuvent donc être nommées. La thèse officielle consiste à en conclure qu’elles n’existent pas.

Les morts de Tchernobyl ont un statut très particulier. Ce ne sont pas des morts statistiques, comme lorsqu’un sniper tire au hasard sur une foule. Ce ne sont pas des morts virtuelles, comme celles qu’on évite en résorbant un point noir routier. Ce sont des morts bien réelles, mais sans identité, puisqu’elles se distribuent sur l’ensemble des morts dites naturelles qui affectent une population donnée et dont elles augmentent le nombre faiblement.

Rien ne distingue un cancer causé par les radiations d’un cancer ordinaire. »

Je cite ce passage in extenso par ce qu’il est très justement formulé et qu’il s’applique à tous les facteurs d’environnement nuisibles à la santé de l’Homme et pas seulement à la radioactivité. Le fait qu’un risque individuel soit faible, alors que le risque collectif soit important est une source habituelle de confusion dans le débat public. Bien souvent, les controverses sont liées au fait que les uns (en général les acteurs économiques) privilégient le niveau individuel tandis que les autres (en général les milieux associatifs) mettent de l’avant le niveau collectif. Chacun choisit l’approche correspondant le mieux à ses intérêts, ce qui n’est ni surprenant ni répréhensible, mais ce qui mérite d’être décodé.

Ce type de situation pose également des questions pour l’action. Là aussi, Jean-Pierre Dupuy dit bien les choses : « Parce qu’elles sont insignifiantes, un calcul moral devrait-il tenir ces probabilités pour nulles? Il existe des actions ou des faits qui produisent des effets imperceptibles, mais qui touchent un très grand nombre de personnes. Parce que ces effets sont infimes, devrait-on les passer par pertes et profits ? »

Prendre le risque individuel comme but de l’action, c’est privilégier une logique égalitaire en réduisant la taille des groupes à risque élevé. Agir en se fondant sur le risque collectif, c’est prendre une approche d’optimisation des résultats relevant d’une logique économique (pour un euro investi en prévention, où le nombre de cas évité sera-t-il le plus grand ?). Si nous avions une politique de sécurité sanitaire, c’est à cette question qu’il faudrait répondre prioritairement.














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