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Pilules contraceptives : la France a-t-elle sur réagi ?

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Un article récemment publié par une trentaine de médecins européens et nord-américains au sujet des décisions des autorités françaises relatives aux pilules contraceptives développe les principaux arguments suivants :

-          Le principal impact des décisions françaises est une perte de confiance dans toutes les pilules contraceptives.

-          Il peut s’en suivre une « épidémie » d’avortements.

-          La peur créée par la médiatisation « dramatique » de cas individuels a « forcé les autorités à réagir ».

-          L’excès de risque de thrombose (caillots de sang) n’est pas définitivement établi. Toutes les études faites ne vont pas dans ce sens. Il faudrait réaliser une grande étude de suivi dans la population.

-          Si le risque existe, il n’est pas forcément « pertinent au plan clinique », il est faible, du même ordre de grandeur que celui de la pratique du vélo.

En résumé, les autorités ont réagi sous le coup de l’émotion sans prendre en compte l’ensemble des données disponibles et en surestimant le risque. Cette prise de position soulève d’intéressantes questions. Regardons-les avec du recul sans s’arrêter sur le fait que les auteurs de l’article reconnaissent des liens avec les fabricants de pilules et aussi sans donner à cet article la qualité d’article scientifique puisque ce texte adressé à la revue le 15 mars a été accepté pour publication le 18 sans être critiqué par des lecteurs externes.

Chaque argument proposé peut être contredit, mais ce qui est frappant c’est la difficulté de développer un raisonnement global en termes de risque et de bénéfice au niveau populationnel. Un tel raisonnement commencerait par s’étonner que l’alerte ait été donnée par une plainte en justice d’une patiente et non par des médecins ou par des agences chargées de la surveillance de l’état de santé de la population. Comment se fait-il qu’il faille attendre des drames pour qu’un risque soit géré ?

Ce raisonnement continuerait en soulignant que les recommandations de prescription qui figurent dans le texte de l’autorisation de mise sur le marché n’ont pas été pleinement respectées. Comment se fait-il que ce fait majeur ne soit révélé qu’après que les journalistes aient évoqué la question ? Pourquoi aucun mécanisme de repérage de ce dérapage n’a fonctionné ?

L’article invite aussi à réfléchir sur la notion de preuve disponible. L’excès de risque de thrombose (surtout au cours de la première année d’utilisation) a été signalé dès la mise sur le marché des pilules de 3e et 4e génération au début des années 90. Il figure dans les textes des agences du médicament françaises et européennes. Il est exact que les études ne vont pas toutes dans ce sens. Mais en quoi une étude de plus modifierait-elle substantiellement le degré d’incertitude relatif à ce risque ? Pourquoi dans ce cas n’a-t-elle pas été faite avant ? Et en attendant qu’elle soit réalisée, que convient-il de faire ? Les auteurs n’apportent pas de réponse à ces questions centrales. Quand un faisceau d’arguments cliniques, physiologiques et épidémiologiques établit une forte présomption de risque et qu’il existe une alternative thérapeutique moins risquée, n’est-ce pas suffisant pour prendre des décisions de restriction d’usage ? C’est du pur bon sens médical et c’est ce que les sociétés savantes et les autorités ont recommandé à partir de 1995, sans que cela soit suivi d’effet. Cela demande une réflexion approfondie.

Au passage, les auteurs affirment que ces pilules comportent des bénéfices (« usefulness »). Ceux-ci ne sont pas explicités et de ce fait, c’est l’ensemble de l’argumentation qui s’effondre. Quant à banaliser le risque de mortalité en le comparant à celui de la pratique du vélo, cela est contraire à un principe de base de la gestion des risques qui énonce qu’on ne peut pas mettre sur le même plan un risque pris volontairement et dont les individus ont le choix et un risque subi. Certes, aucune femme n’est obligée de prendre la pilule, mais quand elle la prend, c’est après que sa mise sur le marché ait fait l’objet de procédures publiques fondées sur la science et censées garantir un bénéfice supérieur au risque. La comparaison avec le cyclisme n’a pas de sens. Il en est de même pour le tabac, même s’il faut rappeler sans cesse les risques majeurs que comporte cette addiction. En revanche, la comparaison avec la grossesse qui induit aussi un risque de thrombose nettement plus élevé que celui des pilules peut être utile pour fixer les ordres de grandeur et aider les femmes à prendre des décisions avec leur médecin.

Enfin, s’agissant de la confiance, les auteurs confondent la cause et l’effet. Ce ne sont pas les décisions des autorités qui ont provoqué la défiance. C’est celle-ci qui a forcé les autorités à réagir. On peut regretter que la décision ait été réactive plutôt que proactive, mais si le décideur s’est retrouvé face à un choix de type « tout ou rien », c’est que les procédures de gestion de risque n’ont pas été satisfaisante, sujet que j’ai déjà évoqué dans ce blog.

Mon but n’est pas d’alimenter une polémique inutile puisque les décisions sont prises et qu’il n’est pas possible de faire marche arrière. Il est de souligner que ce qu’illustre cette position médicale, c’est que bien souvent et pour des raisons compréhensibles, les médecins, tout particulièrement ceux qui sont des spécialistes pointus d’un domaine, ont du mal à articuler la dimension individuelle du soin et la dimension populationnelle du bénéfice/risque qui demande un raisonnement global et systémique.

Au milieu de cette crise entièrement évitable, on a oublié le principal que Paul Benkimoun a bien souligné : des millions de femmes sont directement concernées. Qui leur a parlé dans un langage qu’elles peuvent comprendre ? Qui a recueilli les questions qu’elles se posent ? Gérer un risque, c’est d’abord tenir compte de la manière dont il est vécu par ceux (celles) qui le subissent.














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